La densification : un problème au cœur de l’urbanisme nantais

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le 12 novembre 2018

[ mis à jour le 24 juin 2022 ]

SOMMAIRE

©Objectif Nantes

Alors que le solde migratoire de la métropole nantaise explose, se hissant autour de 5.000 nouveaux habitants par an, le problème du logement demeure un point central autant qu’irrésolu de la politique urbanistique. Bien qu'une large offre de programmes immobiliers neufs à Nantes soit proposée par les promoteurs, il semble fort compliqué de parvenir à harmoniser les voix autour d’une solution viable et satisfaisante pour tous. La densification, voire la surdensification, prend l’allure d’une problématique quasi-insoluble, à Nantes comme dans ses villes périphériques.

Nantes métropole lance une « expertise citoyenne » pour alimenter son nouveau plan d’urbanisme

Mobiliser le corps de la société civile dans son entier pour parvenir à des consensus, voilà la riche initiative de la municipalité nantaise pour élaborer une nouvelle version du plan local d’urbanisme métropolitain (PLUM) qui soit à la fois propre à satisfaire et véritablement adéquate aux besoins comme aux enjeux.

Quoi de mieux, en effet, pour préserver la qualité de vie et l’identité des quartiers de la ville, comme en ont acté la nécessité la plupart des nombreux plans d’urbanisme qui tentent de préserver les villes en les transformant, que de demander directement à leurs citoyens ce que cela signifie pour eux, chez eux, sur leurs trottoirs et dans leurs rues.

Car il est vite vu de mettre derrière ces mots une foule de réalités diverses, ou de ne rien y mettre du tout, tant leur emploi répété a pu finir par les vider de leur sens. L’idée est donc de venir recueillir les ressentis et réflexions des citoyens sur l’urbanisme qui les concerne au plus près, pour les confronter à la vision technique des professionnels de l’aménagement urbain.

« Tout l’enjeu est de répondre aux exigences de notre attractivité, en arrivant à concilier densification et qualité de vie, grande ville et douceur de vivre.
Il s’agit de construire la ville sur elle-même, sans reproduire les erreurs du passé, sans raser sa richesse. Et pour cela, on doit être capable de faire du cousu main.»
Johanna Rolland, maire de Nantes et présidente de Nantes-Métropole

© vvoe - Shutterstock

L’identité d’un quartier se loge dans son détail

Les citoyens se voient interpellés non seulement sur la conservation du patrimoine immobilier, mais aussi sur celle du petit patrimoine singulier à chaque quartier, construit ou non.
À titre d’exemples, les citoyens pourront se prononcer sur le sort à réserver aux

Les « experts citoyens » devront ainsi permettre d’élaborer des « plans-guides » par quartiers, qui seront inscrits dans le plan paysage et patrimoine (PPP), destiné lui-même à alimenter le prochain PLUM. Et, in fine, le but est que ces recommandations soient transmises aux promoteurs et architectes en amont de leur intervention dans les quartiers.

« Cette confrontation est intéressante, car elle permet de compléter, d’élargir la vision très technique des services de la ville par une expertise du quotidien, du vécu apportée par les citoyens. Et en cela, elle les amène à évoluer dans leur façon de travailler. »
Gaëlle Pinier, paysagiste cogérante de MAP, une des agences chargées d’animer les ateliers dans les quartiers.

Consulter pour apaiser

Cette consultation citoyenne est également conçue comme une action aux vertus pédagogiques fortes : par ce biais, la mairie souhaite communiquer sur les contraintes réglementaires, techniques ou sécuritaires qui président à tout projet d’urbanisme. Et elle espère, ainsi, réduire le nombre de recours gracieux.

Pour Johanna Rolland, présidente de Nantes-Métropole, « il y a une part de risque, d’audace pour la collectivité » dans ce processus. Consciente des enjeux de tailles impliqués par l’urbanisation du territoire nantais, elle annonce vouloir faire de ce plan «un outil pour lutter contre la standardisation, l’aseptisation des grandes villes et métropoles ». Et cela implique que Nantes « cultive [sa] singularité » .

© Jpjp12

Pour le moment, 4 des 11 quartiers de Nantes ont élaboré leur plan d’action, et la ville promet qu’ils seront tous réalisés d’ici 2020. Quant aux résultats provisoires, le nouveau PLUM s’est vu adjoindre deux objectifs : la protection systématique des haies bocagères et arbres remarquables en espaces boisés classés, et le renforcement de la protection des espaces de nature en ville.

Au conseil métropolitain du 22 juin 2018, Nantes a toutefois choisi de rester ferme sur ses objectifs en matière de construction. Le prochain PLUM mentionne que « Le cap de la production d’au moins 6 000 logements neufs par an est maintenu », dont la moitié est destinée à la ville de Nantes.

Bouguenais en tension sur la densification

Un besoin en nouveaux logements

Aux portes de Nantes, la petite ville de Bouguenais fait des émules. Le 18 septembre 2018, le nouveau Plan local de l’habitat (PLH) a été adopté en conseil municipal, chiffrant à 166 le nombre de logements neufs à construire chaque année pour épouser la hausse de la population. Cela revient à un millier de logements pour la période 2019-2025.

Le conseiller municipal socialiste Dominique Duclos, en charge de présenter ce nouveau plan, a résumé ainsi la situation : « À moins de 120 logements par an, on perd de la population. (…) Parce que la taille des foyers (un peu plus de deux personnes) diminue constamment. Notamment à cause des divorces, du vieillissement de la population, et de la hausse du nombre des personnes ayant choisi de vivre seules. » C’est ce qui explique la pénurie de logements appropriés sur la commune. À Bouguenais, il faudrait construire « Surtout des T1, T2 et T4, car il y a désormais trop de T3.  »

La population bouguenaisienne n’a de cesse d’augmenter, actant le boom démographique prévu de longue date dans les communes limitrophes des métropoles. Cette ville de 20.000 habitants voit arriver tous les ans, aux deux bouts de la pyramide des âges, un nombre important de nouvelles personnes à loger. « 2 000 étudiants supplémentaires sont attendus dans le Sud-Loire dans les cinq ans, note Dominique Duclos. Dans le même temps, Nantes métropole devra prévoir 750 places de plus dans les établissements pour personnes âgées. »

La construction ne fait pas consensus

Les objectifs ainsi posés par la municipalité sont destinés à dessiner en toute cohérence le Bouguenais de demain, et à penser son urbanisme en adéquation avec la forte hausse de la demande.

Pour autant, l’opposition a fait entendre son mécontentement face à cette annonce. À droite comme au centre, les élus ne parviennent à se résoudre à un tel plan d’urbanisme :

« Nous sommes contre cette logique de construire toujours plus, sans maîtriser les particularités de notre ville dite à la campagne.(…) Construire des immeubles dans des zones pavillonnaires, c’est de la surdensification et en sus, cela ne s’accompagne pas assez d’équipements de transport et de garde d’enfants. Et les gros immeubles proches du bourg ne vont pas favoriser la mixité sociale. »
Sandra Impériale, conseillère LR de Bougenais et de Nantes métropole

Critique récurrente adressée aux politiques touchant à l’urbanisme des ceintures périphériques des métropoles : en faire peu à peu des villes dortoirs, dénuées de services appropriées à leur proportion de logement, et niées dans leurs intérêts propres.

De son côté, la gauche alternative ne se montre par moins critique, et juge que les projets immobiliers sont « souvent mal pensés et faussement négociés ».

« Ces programmes pour l’habitat sont conçus par des technocrates, qui n’ont aucune culture associative ou syndicale, et qui ont bien compris que la métropolisation était une poule aux œufs d’or (…).Cela désocialise les quartiers, Bouguenais devient une ville-dortoir.  »
Carlos de Pinho, élu Gauche Alternative et Solidaire au conseil municipal de Bouguenais

La densification, un problème insoluble ?

Le débat trouve sa conclusion très provisoire dans ces questions sans réponses de la mairesse de Bouguenais, Martine Le Jeune :

« Nous faisons le choix de construire dans les centralités afin de préserver nos espaces naturels. J’entends les critiques. Mais que répond-on aux demandeurs de logement social ? Et aux Bouguenaisiens qui valorisent leur unique bien en le vendant ? Et faut-il poursuivre l’étalement urbain en privilégiant le pavillonnaire ? »

© Jean-Pierre Dalbéra

Rezé divisée

Sur la commune de Rezé , la densification est un thème phare, jugé aussi inéluctable qu’inquiétant. C’est pourquoi les habitants ont participé en masse aux ateliers citoyens organisés par la métropole pour préparer le nouveau PLUM.

Ce qui en est ressorti, c’est avant tout une exigence « de maîtriser la densification, avec des immeubles moins hauts, plus aérés ».

Les Rezéens, au nombre de 40 000 aujourd’hui, devront s’attendre à voir sortir de terre 320 nouveaux logements par an. Cet objectif fixé par le dernier PLH devra, idéalement, se réaliser en tenant compte des exigences formulées par les citoyens. Ils demandent également « la création de jardins collectifs sur les terrasses d’immeubles » et veulent « favoriser les parkings engazonnés ». Autres idées issues de la concertation : « installer un navibus sur la Sèvre, de Pirmil à Vertou », et « aménager un chemin piétonnier continu entre Trentemoult et Vertou ».

Végétalisation et piétonisation sont donc les priorités majeures exprimées par les Rézéens. Et bien qu’il soit important de construire moins haut dans l’ensemble, la majorité PS-PC de Rezé nuance : « Si on veut moins de voitures, il faut construire plus haut le long des grands axes dotés de services, de commerces et de transport. Tout en préservant le secteur pavillonnaire. » Un difficile équilibre à trouver, on le voit, entre densification et étalement.

À quelques mois du transfert du Marché d’intérêt national (MIN) aux portes de Rezé, la question de l’habitat à offrir aux travailleurs de l’agroalimentaire en passe de s’installer ici se pose plus que jamais. Le MIN prévoit 2000 emplois à terme, et l’attractivité de la métropole nantaise est loin de s’essouffler.
Pour les accueillir, ce sont 700 nouveaux logements prévus dans le quartier du Vert-Praud, 800 dans l’éco-quartier de la Jaguère, et 2300 sur la partie rézéenne de la ZAC de Pirmil-les-Isles au cours des cinq prochaines années.

Face à de tels chiffres, l’opposition fait entendre sa contestation. D’un bout à l’autre de l’échiquier politique rézéen, les cris s’élèvent : « Une densité de 90 logements par hectare, c’est beaucoup trop ! ». Le groupe écologiste s’inquiète, lui, de l’augmentation considérable du trafic routier que va occasionner la ZAC sur la route de Pornic, et du coût écologique global de l’opération. Pourtant, comme le relève le maire de Rezé, on ne va pas « dire à des jeunes qui ont un boulot ici : partez à la campagne et laissez-nous entre nous ».

La surdensification, un problème nantais ?

Interrogé sur la question, un enseignant-chercheur en géographie décrit la spécificité de la capitale Loire-Atlantique, pourtant inscrite dans une problématique communes aux plus grandes métropoles de l’hexagone.

« Est-ce que la métropolisation accélère la destruction d’une ville ? »
« Oui, car l’urbanisme est aujourd’hui une compétence de la Métropole. C’est une plus grosse machine prise dans une course à la croissance urbaine. La conséquence de la destruction, c’est la densification. On construit en hauteur pour éviter l’étalement des villes. À ce sujet, le débat est absent de la sphère politique, mais il prend de plus en plus de place dans la société civile
Frédéric Barbe, géographe et membre de l’association à la Criée, interviewé par Marion Dubois pour Ouest-France

Si Nantes diffère d’une autre, c’est que « La ville s’est engagée dans une transition pour passer d’une petite ville balnéaire à une métropole. Cette transition implique de la destruction. En soi, ce n’est pas quelque chose de mal, mais c’est un acte fort qui détruit de la valeur dans une ville » et qui peut être d’autant plus mal vécu par les habitants que, « contrairement à Lyon ou Paris, ici, les destructions n’ont pas été mises en scène ».

Cette modalité de destruction donne, au final, l’impression d’un « grignotage de bâtiments» continu, imprévisible et dont la cohérence parfois échappe, la communication se faisant rarement à toutes les échelles des projets.

C’est ce qui explique qu’autant de contestations s’opposent aux projets d’urbanisme en territoire nantais :

© Jean-Pierre Dalbéra

Les projets d’aménagement font partout craindre la requalification des espaces, le déplacement des populations, de leurs lieux de réunion, et en définitive la privatisation des communs.

Ils sont pourtant nécessaires au développement économique du territoire, et à son adaptation aux évolutions des modes de vie contemporains. Reste à savoir comment parvenir à concilier intérêts et idéaux des différentes parties prenantes.

Sources :

[ En Résumé ]

Dans la métropole nantaise, l’urbanisation est loin de faire consensus. Pour parvenir à la densification nécessaire au développement de la ville, la municipalité en vient à enrichir ses plans d’urbanisme de consultations citoyennes, destinées autant à profiter de l’« expertise du quotidien » que seuls possèdent les habitants qu’à communiquer avec eux sur les projets en amont de leur réalisation. Un mode opératoire qui demande encore à faire ses preuves, à l’heure où les comités de lutte se multiplient, et où les municipalités des villes périphériques font entendre leurs craintes et leurs désaccords.

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